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Chroniques
Aram Khatchaturian
Spartacus
À l'aube des années cinquante, pour échapper aux foudres staliniennes qui frappent certains confrères, Aram Khatchaturian (1903-1978) délaisse symphonies et concertos pour des créations moins périlleuses, comme la musique de films. Dès 1940, il annonce un projet de ballet consacré à l'esclave Spartacus, sujet dans l'air du temps depuis Octobre Rouge et qu'une visite du Colysée de Rome remettra sur l'établi. Après son autre ballet Gayaneh – la fraternité des peuples soviétiques dans un kolkhoz de coton –, Spartacus est achevé en février 1954, puis créé le 27 décembre 1956, au Théâtre Kirov. Le livret de Nikolaï Volkov s'inspire de l'histoire bien connue de ce prisonnier de guerre originaire de Thrace, vendu à une école de gladiateurs en 73 avant J.-C. et qui organisera une révolte bientôt réprimée contre l'oppresseur.
Le plus souvent en accord avec le compositeur arménien, l'œuvre fut maintes fois adaptée aux désirs des chorégraphes. Ainsi, Léonide Jakobson modifia l'ordre des morceaux et en demanda de nouveaux, Jiri Blazek (Prague, 1957) réduisit à six tableaux les trois heures et demie originelles et Igor Moisseïev (Moscou, 1958) souhaita l'ajout de trois morceaux pour chœur afin de répondre à sa vision historique et héroïque d'une révolution de masse. Bien qu'ayant reçut le Prix Lénine l'année suivante et quoique perdurant quelque temps, cette version favorisait un réalisme pantomimique au détriment de la danse véritable. De nos jours, c'est la version d’Iouri Grigorovitch, pour le Bolchoï en 1968, qui est la plus connue.
Ce chorégraphe aménagea lui aussi les quarante-sept morceaux de la partition : il supprima le personnage du traître christique Harmodius – tout en confrontant Spartacus, soulevé par un faisceau de lances, à une quasi-crucifixion –, puis organisa des monologues devant un arrière plan neutre et noir – comme transitions fluides et reposantes entre les scènes de fête ou de lutte. Malheureusement, le résultat est à mi-chemin entre critique du Pouvoir et commande d'État. Sur fond de carton pâte, la parade des troupes romaines, en particulier, avec les levers de jambes bien haut, tels des soldats devant le Kremlin, sent l'héroïsme de pacotille. Et le doute parfois nous prend : a-t-on emprunté ces gestes à des gymnastes ou à des majorettes ? Les combats à deux sont déjà plus intéressants, de même que certains solos magnifiques. Avec son pied sûr, ses arrêts nets et son endurance en général, Irek Mukhamedov est sans conteste la vedette de la soirée,
et le principal intérêt de cette captation.
Vive et canalisée, la direction d'Algis Zhuraitis, dans la fosse du Bolchoï en 1990, se tire plutôt bien d'une partition pompier à quelques accords près, qui se souvient de Shéhérazade (la séparation du couple par les marchands), de L'Oiseau de feu et cite avec ruse (pour une danse décadente de la séduisante Aegina de Maria Bilova) les rythmes latino qui faisaient fureur au même moment dans les lieux de plaisir du Nouveau Monde. Les cordes auraient cependant gagné à plus de sensualité et les cuivres à plus de justesse.
SM